Sédiments

À l’invitation de François Bon, une tentative d’esquisser (de mémoire car nous sommes à 700 km de la maison pour encore deux semaines) un écosystème d’écriture personnel.

En dur : une étage de la bibliothèque Billy de mon atelier est rempli de carnets, du cahier à petits carreaux et à spirales d’adolescence aux carnets reliés, Moleskine et Leuchtturm. À vue de nez une trentaine de carnets qui contiennent textes et dessins, gribouillis et chansons, titres de livres et listes de prénoms de personnages, remplis durant les quinze dernières années. Diverses taille (du tout petit de poche au A4), divers grammages et lignages (alvéoles de ruches par exemple), achetés au fil des besoins ou des hasards, des voyages et des envies, des pages déchirées et des cafés renversés. Pas de fétichisme. Comme les livres, ils vivent. Jamais deux identiques parce que je suis toujours à la recherche du carnet parfait – et éternelle insatisfaite. Deux disques durs de sauvegarde de 500 Go où je trimbale mes photos, mes textes, mes chansons d’ado, depuis le PC familial sous Windows 3.1 jusqu’à aujourd’hui, un disque dur SSD 250 Go avec les sauvegardes plus récentes, un disque dur qui contient une sauvegarde intégrale du disque dur de mon premier macbook après qu’il ait rendu l’âme. Un autre encore accroché à la tour de mon dernier PC (avant le Macbook) que je dois récupérer depuis des années pour pouvoir enfin me débarrasser de la tour. Et encore plus ancestral : une pile de DVD-R pleins de films, séries, musique, photos, vidéos, souvenirs.

En numérique : Une dizaine de blogs inactifs mais pas archivés tenus en alternance ou en simultané de 2003 à 2013 (peu de périodes sans blog depuis l’âge de 15 ans), et puis désormais ici. La plupart sont encore en ligne, jusqu’au jour où ils disparaîtront dans les limbes d’Internet. En attendant, je ne connais plus les mots de passe, j’ai juste leurs noms ou leurs adresse vaguement en tête, seule à m’en souvenir encore. Ils sont des souvenirs de moi éclatés sur la toile, ils sont de l’ultra-intimité qui ne m’appartient plus vraiment. Un site web aussi, tenu de 2002 à 2007, hébergé gratuitement chez free et donc toujours en ligne mais dont les liens  sont majoritairement morts. Y restent des photos et quelques textes. Les musiques ont disparu. Emails archivés depuis 2010 (mais pas triés), perdu ceux d’avant au cours d’un changement d’ordinateur, perdues les correspondances amicales (excepté quelques mails d’adolescence, archivés à l’époque où j’avais le temps, à l’époque où l’écosystème n’était que naissant, à l’époque où, petite fourmi bien affairée, l’intégralité de la biodiversité disponible était utilisée à le composer), perdues les centaines d’e-mails échangés avec mon cher et tendre pendant les cinq premières années de notre correspondance, avant le passage à la vraie vie. Sur l’ordinateur, un dossier “Musique” avec les films et les enregistrements rapides (issus du dictaphone de l’ipad) de chansons et de musiques en cours de composition, pour ne pas oublier mes trouvailles car je n’écris pas les mélodies ni toutes les rythmiques (flemme et habitude de travailler en solo). Et un dossier “Écriture”, avec tous les textes en cours et achevés, les notes, les idées bonnes et mauvaises, les esquisses, les débuts, les réflexions, mon plus précieux désordre sans doute. Ces deux dossiers sont sauvegardés sur mon Macbook, sur l’ordinateur du salon, et en ligne sur Dropbox, plus de temps en temps sur le disque dur externe. Enfin : deux ans de notes à la fois très bordéliques et très organisées stockées dans Notes (pas trouvé mieux jusqu’à présent), synchronisées sur l’ipad et de temps en temps sauvegardées dans Dropbox.

Un écosystème plutôt jeune au fond, qui commence avec les années 2000. Mais déjà cette question qui me hante : que va devenir la mémoire avec le numérique ? Des années que j’envisage de trier, ranger, ordonner, archiver, sauvegarder les milliers de photos, les centaines de vidéos, de notes de blog, de textes, de musiques, d’e-mails. Mais je ne le fais pas, toujours prise par l’urgence à agir et à faire l’urgence d’être maintenant plutôt que de me retourner sur le passé pour l’organiser (et puis chaque tentative se solde par une plongée mélancolique dans de vieux souvenirs fragmentaires et microscopiques, et l’oubli de mon objectif de départ), continuant à entasser de nouvelles couches sédimentaires de souvenirs sur le passé, le rendant toujours moins accessible et plus désincarné. À quoi sert tout cet archivage puisque tout finira un jour obsolète, cassé, inaccessible ? Ce qui compte, au fond, ce sont les souvenirs qui nous ont façonnés, pas ceux que l’on a collectés. Sans doute est-ce une manière de se rassurer, d’invoquer un soi passé comme on érigerait un autel à soi-même pour ne pas s’oublier, de reconstruire sa biodiversité intime pour avoir un écosystème dans lequel continuer à grandir, empêcher la dissolution de nos identités dans la toile, et accumuler du matériel et du comptable comme un front face à l’infinitude du numérique. Univers, Internet : même combat.

Le livre-montagne

La première version du roman est terminée depuis plus d’un mois. Je l’ai relu et corrigé, je l’ai fait relire à mon cher et tendre premier lecteur. Le livre a trouvé son centre de gravité, il tient à peu près debout même si ses vêtements ne sont pas encore vraiment ajustés. Mais Il est là, bien au chaud dans mon ordinateur, avec son histoire, sa langue, ses personnages que je chéris, son titre, son point final, son exergue, et ses 240 000 signes. C’est le plus long texte que j’ai jamais écrit – je ne suis pas une marathonienne, j’aime les livres courts et incisifs, les livres dont la densité est inversement proportionnelle à leur épaisseur, les livres qui n’exigent pas que je leur consacre des dizaines d’heures mais qui m’habitent pourtant longtemps après les avoir quittés, ce sont les livres que j’aime lire et ceux que j’essaie d’écrire – ce qui le rend d’autant plus impressionnant, avec sa longue et vaste liste de ce que je dois changer / améliorer / ajouter / réorganiser.

Alors depuis tout ce temps, il décante, il hiberne. Parce que comme à chaque fois, l’idée même de l’ouvrir à nouveau me fait l’effet décourageant d’une montagne à gravir, si abrupte et si haute qu’on n’en voit pas le sommet. Je sais pourtant que c’est seulement un reflet, je sais qu’en réalité il ne s’agit pas de grimper mais de plonger : une fois qu’on a sauté, il n’y a plus qu’à se laisser porter par le courant de l’eau et le livre se transforme presque tout seul. Mais j’ai beau le savoir, la peur est quand même là.

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La vie intérieure des bibliothèques

J’achète pas mal de livres. Parce que j’en entends parler, parce que je lis quelque chose à propos d’un livre, parce que je m’intéresse à un sujet, une thématique, parce qu’ils résonnent soudain à mon oreille, parce que je les croise sur un étal de librairie. Je ne suis pas vraiment les rentrées littéraires, je lis rarement les livres au moment de leur sortie, je cherche plutôt les petits ouvrages étranges que les classiques et les grandes références. Je commence beaucoup de livres et j’en finis peu, je me lasse vite. Je ne suis pas une lectrice très fidèle.

J’achète aussi souvent des livres que j’oublie ensuite. Je les égare sur une étagère, je ne trouve pas le temps de les lire, ou je perds l’intérêt qui m’avait fait les acheter, happée par un autre livre. Et puis, j’y reviens un jour. Parfois très longtemps après. C’est un peu ce qui est arrivé à ces deux livres.

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J’ai acheté le premier il y a une dizaine d’années, après avoir lu un autre essai de David Le Breton, La peau et la trace, que j’avais trouvé passionnant. Du silence m’interpellait beaucoup pour son titre, son sujet, évidemment. Je ne sais pas pourquoi, mais je l’ai rangé directement dans la bibliothèque sans l’ouvrir. Il m’a suivi patiemment dans mes déménagements, je l’observais de temps en temps, lui, sa large tranche bleu vif et son titre, toujours aussi évocateur. Et puis il y a quelques semaines, quand il m’est soudain apparu que j’étais en train d’écrire un livre qui parle notamment de silence, ouvrir enfin ce livre est devenu un impératif. Alors je l’ai cherché partout, j’ai fouillé les rayons de nos bibliothèques pas encore rangées, et je m’y suis plongée. Avec le bonheur que j’avais imaginé, ce plaisir à venir que je chérissais depuis tout ce temps. Ce livre se promène partout où le silence se glisse, habité de plein de références littéraires intrigantes (et voilà, déjà deux nouveaux livres achetés : L’exil et le Royaume de Camus, et Le silence de Nathalie Sarraute, je continue mon petit chemin).

Le second appartient à Martin Il est donc dans notre bibliothèque commune depuis 6 ans. Je l’ai repéré il y a déjà deux ou trois ans en passant devant, il interpellait mon regard à chaque fois, d’autant plus depuis que l’on a croisé Olivier Bleys un soir à Bordeaux (quand c’est possible, j’aime rencontrer les auteurs et lire leurs livres ensuite car on lit différemment). Mais je ne l’avais jamais ouvert. Et puis l’autre jour, dans le couloir qui relie nos deux bureaux où est désormais installée notre bibliothèque, je suis repassée devant. Je ne sais pas pourquoi mais cette-fois ci je l’ai sorti de son rayon et j’ai commencé à lire les premiers paragraphes. Et j’ai découvert que Le plafond de verre était en parfaite résonance avec le roman que je suis en train d’écrire que je commence à terminer (et qui ne parle donc pas que de silence). Je le savais, mais j’avais oublié que je le savais. C’est un bel essai autobiographique sur le rapport complexe et parfois paradoxal que les pauvres entretiennent avec la richesse, sur la manière dont les plus aisés maintiennent subtilement (ou non) leur entre-soi. Et dès les premières pages, il y a quelque chose d’offensif qui est réjouissant.

Ces deux livres font partie de la bibliothèque depuis longtemps mais ils viennent seulement d’entrer dans ma vie. Parce que le moment de les lire est venu. J’aime cette idée qu’une bibliothèque ne soit pas qu’un amoncellement de livres lus : ce sont aussi des provisions pour le futur, de la nourriture pour les envies à venir. Comme avoir un frigo ou un placard bien rempli rassure certains, avoir une bibliothèque pleine de plus de livres que je ne pourrai sans doute jamais en lire, me réconforte.

La nappe phréatique de l’imagination

J’étais dans mon bain, et tout à coup j’ai repensé à ce projet de roman que j’ai (un roman pour dans longtemps, dans plusieurs années, quand j’aurai fini d’écrire ceux en cours et ceux qui m’occupent un coin de l’esprit depuis encore plus longtemps que celui-ci) et quelques idées me sont venues. Toute contente, une fois sortie de l’eau, j’ai ouvert le fichier sur mon ordinateur dans lequel je consigne mes notes autour de ce roman pour ne pas perdre ces idées. Sauf que c’est là que j’ai découvert que toutes ces idées qui me sont venues ce soir-là (typologie des personnages et bout de monologue), je les avais déjà eues il y a six mois, et qu’elles sont déjà notées dans mon fichier, parfois avec les mêmes mots ou les mêmes tournures de phrases.

C’est surprenant comme la mémoire nous échappe alors qu’elle constitue en même temps ce qui, justement, ne nous a pas échappé. Je crois que la mémoire est la  nappe phréatique de l’imagination. C’est là que, comme les rêves, les idées naissent : elles jaillissent des collisions entre nous souvenirs et nos pensées, entre nos intuitions et nos envies, entre nos obsessions et nos échecs.

Une année musicale

Ca a commencé un peu par hasard, il y a deux ans. Il y a la guitare qui me démange un peu, l’envie un peu abstraite de mettre en musique une lecture de Martin, une librairie qui tente l’aventure avec nous, quelques essais, le super méga trac, et ça y est, ça existe. Et puis d’autres propositions suivent, l’occasion d’affiner le projet et pour moi, de me sentir un peu plus confiante.
En parallèle, d’autres idées pour relier l’écriture, le dessin et la musique naissent, je découvre de nouveaux instruments étranges parfaits pour les lectures (Qchord, theremin, lame sonore…), je prends des cours de piano et de chant, je griffonne quelques chansons.
Et tout à coup, sans prévenir, l’année 2017 se profile avec déjà 4 lectures musicales ou dessinées-musicales (dont deux totalement inédites et bien angoissantes), une résidence littérature-musique-numérique, et plein de projets secrets (qui verront j’espère le jour quand je retrouverai du temps et de la place pour composer). La boucle est bouclée : retour à la musique et mes ambitions d’adolescence.

Au creux de la main

il y a quelques semaines, Sabine Faulmeyer qui tient Le blog du petit carré jaune, m’a proposé de publier un texte sur son blog durant l’été. Alors j’ai saisi l’opportunité pour y raconter des souvenirs de blogs, de chansons, de carnets de notes, et de l’internet de la fin des années 1990 et du début des années 2000 (j’ai l’impression d’être vieille en disant ça). Ce texte s’appelle On ne range pas le passé. Une pensée à Anne B. (Georges !), Elsa F., Audrey F., Olivier W., au site K. et aux compagnes et compagnons de route de cette drôle d’époque.

Au creux de la main, une chanson écrite en 2004 et enregistrée (homemade) en 2006

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Poule d’eau

C’est le printemps sur les pelouses-centenaires-réservées-aux-petits-oiseaux du jardin des plantes. Et ça me rappelle tout à coup le printemps dernier. J’étais enceinte, Martin et moi passions régulièrement par là en allant à la gare et je m’apparentais totalement aux canards et aux poules d’eau qui nichaient au bord de l’eau. Et puis on s’est éclipsés pendant quelques semaines, parce que Cyrus est arrivé. Quand on a traversé à nouveau le jardin des plantes, dans le courant de l’été, les canetons et les poussins étaient nés, ils étaient ébouriffés et maladroits, et nous l’étions tous les trois aussi. On les a vus grandir à chacun de nos passages, quand on allait chercher les amis venus nous voir puis quand on a repris les routes des ateliers d’écriture, des salons et des rencontres. Maintenant, les canetons et les poussins sont devenus des canards et des poules d’eau et ils s’apprêtent à nicher à leur tour tandis que Cyrus est toujours ébouriffé et maladroit (et que Martin et moi le sommes un petit peu moins). Et je pense que plus jamais aucun printemps ni aucun été ne se passera sans que je me sente un peu poule d’eau.

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Des romans pour ados et de belles couvertures

Deux romans pour adolescents vont sortir ces prochains mois. La folle rencontre de Flora et Max, coécrit avec Martin Page, paraîtra à l’Ecole des Loisirs en novembre. Ma fugue chez moi, paraîtra aux éditions du Rouergue en mars 2016. C’est toujours émouvant (et angoissant) de découvrir la couverture de son livre. C’est aussi le moment où le livre commence à nous échapper, où il se met à exister ailleurs que dans notre tête, parce que quelqu’un s’en est emparé pour le mettre en image. Heureusement, je n’ai jamais eu de mauvaise surprise. Au contraire, les choix d’illustrateurs et de photos de couverture faits par mes éditeurs m’ont toujours beaucoup plu.

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C’est étrange comme une fois un livre terminé, il y a toujours une période de flottement. Il me faut quelques jours (plus souvent quelques semaines) avant de reprendre l’écriture d’un autre roman. Généralement, je sais déjà quel projet va m’occuper, je l’ai décidé il y a longtemps, pendant l’écriture du précédent. J’ai même pris quelques notes, toute excitée par l’idée de commencer une nouvelle histoire (c’est l’étape de l’écriture que je préfère, débuter un livre) avant même d’avoir fini la précédente. Pourtant je butine, je note d’autres idées, j’écris de petits textes, un texte d’album, je prends mon temps, en attendant que mon esprit se libère du livre achevé pour laisser au nouveau toute la place pour s’épanouir.

Dernière semaine

Ma résidence se termine lundi prochain et apparaît tout à coup l’urgence de tout saisir du chalet et du parc : capturer les bruits, les lumières, les mouvements, les silences, l’atmosphère. Face à mon bureau, à travers la fenêtre de ma chambre, j’ai vu le parc changer au fil des semaines, passer d’une fin d’hiver grise et rachitique à un printemps épanoui. J’ai aussi croisé de nombreux résidents, certains dont je garderai des souvenirs forts.

J’abordais la résidence pleine de naïveté, avec l’espoir de deux mois de longues journées de travail très productives, et d’une multitude de lectures. J’ai passé deux mois à me dire que je ne travaillais pas assez, mais finalement, quand je fais le compte, je suis plutôt contente de moi. J’ai terminé un roman ado, écrit un roman jeunesse et une histoire courte, deux textes de chansons, continué un journal en cours, relu des épreuves, animé des ateliers d’écriture, repris le dessin, bien entamé un nouveau projet pour Monstrograph, lu quelques livres… J’ai expérimenté un nouveau temps de l’écriture, j’ai pris des décisions, j’ai compris des choses sur moi, fixé de nouvelles envies. Finalement, l’errance, le doute, la remise en question, les journées grises, le manque d’énergie, les dîners qui traînent, tout ça fait partie du travail, tout ça aussi fait avancer le texte et les idées.

Je suis aussi heureuse de rentrer, de retrouver mon quotidien nantais, la vie de la ville, les librairies, les marchés, les cafés, les cinémas, que triste de partir et de quitter cette atmosphère studieuse et préservée.

Désormais, c’est une autre aventure qui nous attend.

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Les bruits du chalet

Depuis que je suis au Chalet Mauriac, j’ai commencé une petite collection de sons. Je ne sais pas très bien ce que j’en ferai, mais j’aime cette idée de collecter de toutes petites choses qu’un jour, peut-être, j’utiliserai dans une chanson ou pour une lecture musicale.