Dai Loc

Chouette nouvelle, un restaurant vietnamien / chinois / thaïlandais (les propriétaires sont vietnamiens) vient d’ouvrir à côté de chez nous : le Dai Loc. Nous l’avons testé hier soir et leur cuisine est excellente et pas très chère (les nems sont terribles, les brochettes poulet-crevettes-ananas aussi). Bien sûr l’organisation n’est pas encore parfaite (ils ne sont ouverts que depuis quatre jours) mais cela ne devrait pas tarder. Il est situé à l’intersection de la rue Desaix et de la rue François Farineau et il vaut le déplacement.

Je viens de terminer le second livre de Fanny Salmeron, “Le travail des nuages”, et j’avais déjà beaucoup aimé son premier roman. J’aime vraiment son écriture fluide comme la pensée, avec toujours cette référence à l’enfance. Disons alors : une pensée qui garde de l’enfance sa douceur, sa spontanéité et sa fantaisie, son besoin de dire l’injustice comme elle vient.

C’est un livre dense et court (et c’est une qualité), émouvant, qu’on lit une boule au travers de la gorge tout du long. Et même si j’y ai trouvé moins de phrases et d’idées qui me parlaient toutes entières, absolument, que dans “Si peu d’endroits confortables”, il m’a tout de même semblé plein de ces petits bouts de mots et d’instants fragiles, précieux, que l’on veut protéger contre le reste du monde.

Alfred Guesdon

Petit tour à l’exposition “Trésors cachés du cabinet d’arts graphiques” à la Chapelle de l’oratoire (du musée des Beaux-Arts de Nantes) cet après-midi, où j’ai découvert le fascinant travail géographique et architecturale d’Alfred Guesdon. On ne trouve pas grand chose sur lui sur Internet, j’ai du aller farfouiller sur un site italien pour retrouver l’image qui m’a marquée. Il a réalisé des tas de “vues d’en haut” de villes d’Italie, de Suisse et de France, crayonnées avec une belle précision, passionnantes en ce qu’elles offrent un autre point de vue sur les villes, en donnant accès à leur squelettes et à leur surface.

Trois dessins de villes italiennes sont exposés, notamment celui de Brescia, qui m’a le plus attirée. J’ai retrouvé non pas le dessin mais une image d’une lithographie faite à partir de ce celui-ci.

Et du coup, je suis tombée à l’instant sur cette chouette vue de Nantes qui date de 1860, encore toute fractionnée en petites îles, avant le comblement de l’Erdre.

Une femme sous influence

Vu pour la première fois il y a quelques jours au Katorza, dans le cadre des Rencontres de Sophie. C’est un film hystérique, souvent à la limite du supportable. C’était difficile pour moi de regarder tous ces gens qui ne s’écoutent pas, ne se comprennent pas, ne se parlent pas, mais au contraire se donnent des ordre. Cette violence, ces cris sans cesse, c’est étouffant. Le mari que l’on croit d’abord compréhensif, puis qui se révèle le pire le tous, le plus terrible, le plus fou.

On voudrait du silence, du calme, on voudrait que la famille veuille comprendre Mabel, qu’ils ne la condamnent pas, qu’on lui laisse le temps, de dire les choses et d’exister. Il semble qu’ils bouillonnent tous tellement qu’ils ne peuvent pas lui faire de place ; ils s’agitent pour combler ses doutes, masquer ses luttes internes. Ils s’agitent, blessent, parce qu’ils ont peur. Mabel leur parle tellement d’eux-mêmes.

C’est beau et troublant, dérangeant et déchirant. Difficile d’en parler.

 

On devrait pouvoir trafiquer sa mémoire

On devrait pouvoir effacer des petits bouts de sa mémoire, pour indéfiniment découvrir pour la première fois des films, des livres, des séries. Il faudrait oublier qu’on les a vu, qu’on les connait et retrouver intact le plaisir de les voir ou les lire pour la première fois, de rencontrer un nouvel ami imaginaire.

Je lis La femme qui tremble de Siri Hustvedt, un essai autobiographique où elle parle des bizarreries passionnantes du cerveau. le livre prend comme point de départ une expérience qu’elle a vécue : quelques années après la mort de son père, alors qu’elle devait lire un discours en son honneur dans l’université où il avait enseigné, elle s’est mise à trembler comme une feuille tout du long. Ses pensées étaient claire, son discours aussi. Elle l’a d’ailleurs tenu jusqu’au bout, intelligiblement. Seul son corps était devenu incontrôlable. Le tremblement cessa à la fin du discours. Plus tard, il revint, plus souvent et en des occasions plus diverses. Ce n’est ni de l’épilepsie, ni de la spasmophilie, elle n’a aucun trouble neurologique visible. Peut-être un trouble de conversion ou dissociatif (ce qu’on appelait avant, hystérie). Elle va donc se servir du prétexte d’enquêter sur son propre trouble pour parler de neurologie, neuropsychiatrie, et psychanalyse et des liens entre ces disciplines qui la passionnent. Elle se rend à des colloques de médecins, participe à des groupes de discussion et lit quantité de livre.  C’est un peu fouillis car elle relate une multitude d’expérience et de pathologies, parallèlement à un peu d’autobiographie, mais passionnant.

Elle parle justement de la mémoire. Du refoulement bien sûr, mais aussi de drôles de choses. L’expérience de Joe Brainard, qu a construit une machine à mémoire dans un livre intitulé I remember. C’est un catalogue de souvenirs de l’auteur, dont chaque paragraphe commence par “I remember”. Et Siri Hustvedt a remarqué, en utilisant ce procédé dans des ateliers d’écriture qu’elle donne en hôpital psychiatrique, qu’il permettait d’accéder, à la manière de la psychanalyse, à des souvenirs très spécifiques et inconscients enfouis dans la mémoire. Je vais essayer, tiens. C’est intriguant. Elle relate aussi le cas d’un homme, Zazetsky, un patient du neurologue et psychologue Alexandre Luria. A la suite d’une blessure de guerre, et de lésions au cerveau, il se mit à souffrir de graves troubles de la mémoire. Il ne connaissait plus le nom des choses qui l’entourent, il ne pouvait plus lire, mais il pouvait encore écrire. Et la mémoire lui revenait au fil des carnets qu’il remplissait. (Luria a écrit un livre sur cet homme et sur un autre, dont la mémoire n’a pas de limites : L’homme dont le monde volait en éclats). Il y a Neil aussi, dont parle Siri Hustvedt, un adolescent de 13 ans qui, suite à une radiothérapie pour une tumeur au cerveau, perdit, en deux ans, toute sa faculté de lecture. Il conservait toute la mémoire de sa vie pré-opération mais rien du présent, de sa vie post-opération. Pourtant, s’il était incapable de dire ses souvenirs proches par la parole, il pouvait les écrire. Son cerveau et sa main communiquaient dans un rapport qui excluait la parole. “Le Neil qui parlait était amnésique. Sa main qui écrivait ne l’était pas.”

Je crois fermement au pouvoir de l’écriture sur le cerveau, à leur lien, indépendant de la parole. Il m’arrive quelquefois de découvrir, en écrivant, des choses que je ne savais pas être en moi, penser, des idées plus construites, plus complexes que je n’aurais jamais pu les formuler par la parole, des idées qui tout à coup me sont extérieures, des souvenirs qui resurgissent alors même que je n’avais pas prévu de les convoquer. On est tout à coup dépassé par soi-même. C’est l’écriture qui nous raconte, s’affranchissant des barrières de la parole. Contrairement à tout auditoire, le papier est neutre.

EPCOT

Parmi les plans de ville les plus fascinants, il y a ce projet de ville imaginée par Walt Disney : EPCOT, pour Experimental Prototype Community of Tomorrow. Une ville construite en cercle, qui contenait au centre une zone densément peuplée, avec les commerces et les bureaux, et tout autour plusieurs cercles concentriques, qui abritent successivement les bâtiments publics et les écoles, puis les espaces verts et enfin une large zone pavillonnaire. Le tout communiquant par des monorails qui vont de l’extérieur vers le centre. Le traffic est souterrain et un dôme géant recouvre la ville pour la protéger des aléas du climat. Tout est donc absolument symétrique, parfaitement organisé, fascinant et terrifiant à la fois. Walt Disney ne se contente pas d’urbanisme, il compte également organiser la vie de la ville : “Ce sera une communauté planifiée et contrôlée, une vitrine de l’industrie, de la recherche et des écoles américaines, des opportunités de la culture et de l’éducation. Dans EPCOT il n’y aura aucun ghetto parce que nous ne les laisserons pas se développer. Il n’y aura aucun propriétaire terrien et donc aucun contrôle de vote. Les gens loueront des maisons au lieu de les acheter, et à de modestes loyers. Il n’y aura aucun retraité ; chacun doit être employé.

Aujourd’hui, EPCOT n’est plus qu’un parc d’attraction en Floride et n’est, heureusement, jamais devenu cette ville, mais on peut découvrir ce projet dans cette vidéo passionnante :

Walt Disney a tout de même créé et géré pendant un temps une ville privée en Floride, appelée Celebration, qui devait être en quelques sortes l’application de ce modèle de cité futuriste idéale, mais dans laquelle les produits dérivés Disney remplaçaient les stations essence.

Papéa Parc

D’habitude, dans le TGV Paris-Nantes, je tombe toujours du côté Loire. Je ne sais pas pourquoi mais j’en suis ravie, qu’est-ce que c’est beau, cette heure de voyage le long de l’eau, des humeurs du fleuve ! Pour une fois, j’étais de l’autre côté et à peu près à mi-chemin, j’ai réalisé que le train longe une sorte de mini parc d’attraction désert, au milieu de la campagne. Du coup, intriguée, recherche sur Google et sur Maps, jusqu’à finir par (miracle de l’Internet) découvrir que je n’ai pas rêvé. Il y a bien un minuscule parc d’attraction de long de la ligne de TGV, près du Mans (il m’a semblé encore plus proche de la voie ferrée en passant, je pense qu’il s’est étendu depuis la photo) :


Agrandir le plan

Je ne sais pas pourquoi les cartes me fascinent tant. Quand je suis arrivée à Paris, je passais des heures à regarder mon plan, comprendre l’organisation de la ville, sa structure. C’était comme un code pour comprendre un peu de sa personnalité. Maintenant qu’il y a Google maps, j’observe les villes d’au-dessus, je joue à Dieu, j’entre dans les cours des immeubles, les casernes désaffectées, je découvre des coins de verdure, je cherche ce que l’on ne voit pas depuis la rue.Je voyage, je pars en exploration derrière mon ordinateur.

En ce moment je lis (entre-autres) Promesse d’une ville, de Robert Scholtus. Il y parle de Metz, cette ville de son enfance (dont je ne connais que la cité U pour y avoir rendu visite à un ami il y a des années de cela), qu’il a quittée pour la retrouver dix ans plus tard. Je n’aime pas toujours le ton, le style (ah ce “tu”), mais il y a de très belles choses, qui mêlent souvenirs de son enfance et sensations d’aujourd’hui. C’est un regard sur une ville à la fois documenté, historique, mais aussi mélancolique et très personnel. Il y parle de sa ville de Metz et tout à coup nous devenons les spectateurs de l’intimité du drôle de couple qu’ils forment ensemble.

Un extrait :

“Peut-on parler d’une ville autrement qu’avec nostalgie ? Même une ville étrangère ne se dévoile à celui qui la visite pour la première fois qu’au travers des images et des sensations qu’ont déposé en lui les souvenirs de ceux qui y vécurent et les œuvres des artistes dont le nom a fini par se confondre avec elle.
Tu reviens à Metz, en réalité c’est Metz qui te revient comme en rêve. Tu reviens à Metz non pas avec la nostalgie de ta jeunesse, mais avec l’étrange sentiment de celui qui, découvrant une ville inconnue, est persuadé d’y avoir déjà vécu. Il t’aura fallu ces dix ans d’absence pour éprouver au plus intime des liens charnels qui t’unissent à cette ville la distance que tu as maintenue à son égard pendant les trente ans où tu l’as habitée “intra muros”, comme on dirait à Paris”.

Et aussi :

“En quittant Paris, tu as changé d’échelle, tu ne le sais que trop. Mais les rues de Paris t’ont appris à ajuster ton regard et à surprendre les détails. “