Aaron Sorkin mon héros

J’ai découvert Aaron Sorkin un peu à l’envers. D’abord avec The Social Network. J’avais été intriguée, soufflée, puis j’avais un peu oublié. Et puis la première saison de The Newsroom (sa série sur le quotidien d’une émission télévisée d’informations) a été diffusée il y a quelques mois, et j’ai commencé à réaliser l’ampleur de son talent. J’ai ensuite enchaîné avec The West Wing (A la maison blanche) et maintenant Studio 60 on the sunset strip (sur un late show satirique), et je suis désormais complètement subjuguée. Si l’écriture des séries et films français me déçoit la plupart du temps, j’avoue me trouver moi-même pas très douée pour les dialogues. Mais j’ai trouvé là le grand maître. Alors je regarde ses œuvres à la chaîne, complètement happée par la richesse de ses sujets, la précision de ses personnages, de leurs combats et leurs évolutions, la densité et la justesse de son propos, la diversité des émotions qu’il transmet, et à la fois, toujours à la recherche d’un apprentissage, essayant de comprendre ce que lui seul fait mieux que le reste du monde. Ses séries sont brillantes, érudites, émouvantes, vertigineuses, et surtout idéalistes. Les personnages qu’il choisit sont presque toujours des modèles (dans les limites permises par leur fonction) éthiques et moraux, prêts à se sacrifier à leur cause.

J’ai trouvé dans une interview de lui, cette idée parfaitement juste, que tant de gens qui écrivent (moi y compris, jusqu’ici) se bornent à ignorer : J’utilise le dialogue comme de la musique. Les personnages de Shakespeare parlaient en pentamètres iambiques ; ceux de Molière, en rimes. Si vous essayez d’imiter une vraie conversation, ou bien ce sera mauvais car vous n’y arriverez pas ; ou bien vous y arriverez, et alors ce sera ennuyeux.”

Pour une esthétique du bonheur

Nous sommes allés voir hier soir Main dans la main (le dernier film de Valérie Donzelli) et quel régal ça a été ! Enfin un film de gentils, sans cynisme, sans moqueries (et sans niaiserie), sans affrontements. Les blessures arrivent, mais elles sont toujours le fait de la maladresse ou de l’oubli, jamais de la malveillance. C’est si rare et si précieux. Je me demande toujours ce qui pousse un auteur à choisir une fin tragique ou du moins malheureuse à son film ou à son livre. Comme si une croyance voulait que ce soit la seule façon de dire des choses profondes. Comme si le malheur était plus photogénique. Pour moi, l’art a définitivement besoin de dire aussi le bonheur, l’enthousiasme, la légèreté, la bienveillance, la tendresse, la gentillesse. Parce qu’ils font partie de la vie et de l’humanité.

Le film raconte donc l’histoire d’une bourgeoise dépressive, professeur de danse à l’Opéra Garnier, et d’un jeune vitrier provincial (et amateur de danse) qui se retrouvent collés l’un à l’autre, incapables de se séparer, liés même jusque dans (presque) chacun de leurs mouvements. L’idée est belle, poétique et drôle (oh ce que j’aurais aimé l’avoir), et à aucun moment Valérie Donzelli ne cherche à l’expliquer ou la rationaliser, et c’est tant mieux. C’est lorsqu’il est accepté comme une normalité que le surnaturel permet de décaler le regard. Les portraits sont dressés avec soin, personne n’est stigmatisé. La critique sociale est tout le temps là mais jamais assénée.

Et puis il y a la danse, le mouvement. Les corps très dessinés, contenus et chorégraphiés, sont en même temps indomptables : la puissance de leur attachement dépasse la volonté des personnages. Et il y a les corps malades, maladroits, blessés, décalés, imprécis aussi. Sans cesse cette idée surgit, que la tentative de contrôle du corps est autant une preuve de vie qu’une vaine recherche.

Un peu l’inverse, finalement, de l’incroyable scène d’ouverture de Un américain à Paris, où le corps est un outil, et la chorégraphie, un mode de vie.