Actualité en transit

Ce matin dans le hall de la gare, un adolescent pianote un morceau qui donne des airs de fin de film aigre-douce à la gare. La première des huit semaines que je vais essentiellement passer à faire des rencontres, animer des ateliers d’écriture et prendre des trains se termine tout juste. C’est épuisant mais aussi passionnant.

Quand je fais des rencontres, si je ne suis pas à l’aise pour aborder les sujets d’actualité frontalement avec les enfants, j’essaie de glisser des messages politiques, des encouragements. Je ne veux pas être une VRP de la littérature jeunesse. Je ne veux pas être la vitrine des livres, l’auteure jeunesse vivante émissaire de l’éducation nationale qui vient faire la promotion de la lecture institutionnelle. Alors je raconte des anecdotes, je parle des livres écrits mais refusés, je leur demande leur avis, je parle argent, je parle du monde littéraire, je réponds à des questions qu’il n’ont pas posées, je parle de livres qui disent des choses importantes, je les encourage à poser les questions que certains profs jugent incorrectes. Je veux qu’il y ait un partage. J’aime qu’ils me contredisent, qu’ils soient spontanés, qu’ils posent des questions très précises ou très techniques. Je vois qu’ils réfléchissent beaucoup. Il y en a qui écrivent aussi. Ils ont aussi souvent de très bons profs, curieux, dynamiques, présents et concernés, et qui leur font parfois faire des trucs épatants. J’espère que ces enfants et ces adolescents sortent parfois de nos rencontres avec de l’énergie et l’envie de changer le monde comme ils me donnent de l’énergie et l’envie de changer le monde.

En ce moment je passe à la maison en coup de vent, et je suis l’actualité en transit, en regardant chaque jour les mêmes unes de magazines dans les kiosques des gares en attendant mon train, n’ouvrant que ceux qui ne parlent pas des élections (elles sont déjà bien assez présentes dans mon esprit). Je me sens ailleurs, pas très ancrée dans le monde, mais pourtant le corps et l’esprit habités par une petite angoisse sourde qui ne me quitte pas depuis deux semaines.

Je pense à dimanche. Je comprends ceux qui vont voter et ceux qui ne le feront pas. J’irai voter, le coeur lourd. Pas envie de donner de la légitimé à quelqu’un qui a pour ambition de saccager la protection sociale française. Mais depuis des jours, je lis en silence – je ne commente presque jamais, les mots me manquent et il y a déjà bien assez de monde qui dit bien assez de choses – sur Facebook, sur des blogs, des textes écrits par des membres de la communauté LGBT, des étrangers, des musulmans, des noirs, par ceux dont la liberté est beaucoup plus directement menacée que la mienne (je suis privilégiée : la seule « minorité » dont je fasse partie c’est les femmes). Alors je voterai, un peu pour moi, beaucoup pour eux.

C’est tentant de se dire que si le Front National était au pouvoir, au moins il y aurait enfin de la révolte, une vraie révolution, un soulèvement populaire sans précédent. On se battrait, on renverserait le gouvernement. Mais peut-être aussi que ça n’arriverait pas. Peut-être qu’on se laisserait faire doucement, qu’on continuerait simplement à glisser. Après tout, on continue à élire les dominants, à admirer les muscles et le charisme, les diplômes et la puissance, le virilisme, à rester piégés dans ce à quoi on nous a éduqués. Alors je ne peux pas prendre ce risque.

Je culpabilise souvent de ne pas être plus active pour les autres, de ne pas réussir à trouver le temps, ou les mots. Alors peut-être est-ce pour compenser, pour agir malgré tout que je me mets à écrire des livres de plus en plus politique. Il y a de la révolte, des manifestations, de la lutte des classes, du féminisme et de l’antispécisme, dans tous les textes que je suis en train d’écrire. Je ne suis pas très douée pour l’action alors je fais ce que je peux avec mes toutes petites armes d’écrivaine.

2017-05-02 16.45.24

 

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